Épisode 70 : Le début de l’histoire : une épopée balkaniqueÉpisode 70 : Le début de l’histoire : une épopée balkanique

L’envie d’avaler les kilomètres. Pour beaucoup, cela ne ressemble que très peu à des vacances, pour moi et mes amis voyageurs, c’est un plaisir: celui de voir défiler de nouveaux paysages, de rencontrer le monde entier, d’apprendre de nouvelles choses. Du Pirée, le port d’Athènes, je rejoins en quelques heures Thessalonique, l’une des capitales culturelles et économiques balkaniques. Fondée par Cassandre de Macédoine en -315, elle porte le nom de la fille de Philippe de Macédoine le père d’Alexandre le Grand. St Paul y diffusa l’Évangile au 1er siècle, les juifs séfarades y on trouvé refuge lors de leur expulsion d’Espagne comme les Ashkénazes qui ont fui les pogroms d’Europe de l’Est. C’est la ville de naissance de Mustafa Kemal qui deviendra Atatürk, celle d’un mouvement messianique juif et des premières loges maçonniques régionales, celle enfin des Sabbatéens, ces disciples du messie juif autoproclamé Sabbataï Levi qui se convertiront à l’islam.

Le vent me porte jusqu’à la frontière macédonienne. Le quai est noir de monde; je comprends qu’il s’agit de migrants pakistanais, turcs… qui souhaitent rejoindre l’Europe via la Serbie. Ces Pakistanais me racontent une épopée d’un mois, leur stratégie, le prix exorbitant de la traversée des détroits et j’en passe. Le début de leur histoire... Un train leur permet de rallier la prochaine frontière. Le nôtre est pris d’assaut lorsque les portes s’ouvrent. Ce n’est plus la ruée vers l’or mais vers une Europe idéaliseée. On demande leur ticket à ces illégaux: “No ticket? Police, problem” d’un côté, “No ticket no problem” de l’autre. Dialogue de sourds. Contrôleurs qui éloignez les (trop) curieux voyageurs, souhaitez-vous arrondir vos fins de mois?

Skopje est d’une rare laideur: les statues immenses et ridicules qui ont couté une fortune sont partout. Certaines ressemblent à l’Homme soviétique, d’autres rappellent que le pays a une histoire riche à défaut d’être vraie. J’ai lu un jour sur un mur de West Belfast (le berceau du Sinn Féin et de l’IRA), “l’Histoire est écrite par les vainqueurs”. Les Grecs sont furieux car un colossal Alexandre le grand est érigé en plein centre de la ville. Comment construire une Nation? En créant des mythes communs! Le début de l’Histoire macédonienne. Lorsque les Grecs me demandent où je vais, ils me dissent que la Macédoine est grecque et que ce pays n’existe pas. D’ailleurs le nom du pays a été change lorsque celui-ci a rejoint l’ONU. Je me rends dans le canyon Matka en compagnie d’une Australienne.

Bottom of FormTop of FormOzieOzieOkk et Kiwis, qui fuient l’hiver austral, sont partout. Vient ensuite Pristina, capitale du Kosovo. Quel est donc ce pays indépendant depuis moins de 10 ans? Je ne sais pas trop. Ce boulevard qui porte le nom de Bill Clinton est-il un élément de réponse? Tu es au Kosovo serbe dirait probablement un Serbe ou un Russe, au Kosovo albanais dirait plutôt Tirana. Pristina, qui doit concourir pour le prix de la capitale la plus laide de la région, m’apporte pourtant quelques éléments intéressants: les drapeaux albanais sont partout, les magasins vendent des hijabs, les mosquées dominent à nouveau le skyline urbain. Dans les campagnes, tout semble neuf, les maisons et bâtiments dont les peintures ne sont même pas faites, sont nouveaux. Le début d’une histoire Kosovar.

Je fuis donc pour Ohrid au bord du plus vieux lac des Balkans. Encore des Kiwis et Australien bon Dieu! Les montagnes entourent un lac plein de serpents où l’eau est claire, transparente. Le Cuba Libre, un bar ou l’ami Dani trouverait son bonheur latin, joue salsa, son, cumbia, salsa romantisa, latin jazz et l’incontournable reggaeton qui enflamme toute l’aire caraïbe. J’aime. Après un tour dans cette basilique du XIème siècle aux icônes magnifiques, dans la forteresse, ce monastère ou dans cet atelier où l’on peut apercevoir l’une des 2 copies de l’imprimerie de Gutenberg, je file en compagnie d'Ashleigh, une Kiwi rigolote, m’essayer au parapente. Nouvelle expérience. Le pilote utilise les courants thermiques pour nous élever à près de 2000 mètres où la vue sur le lac est unique. 20 minutes plus tard, peu avant l’atterrissage, voici venue le temps des sensations fortes. Il fait tourner le parapente à pleine vitesse. Haut-le-coeur, pas très rassuré mais plein de souvenirs!
Je m’étais promis de revenir en Albanie avant mon retour au pays. La Riviera albanaise, de Fier à Butrint, est une succession de plages incroyables. On se croirait aux Philippines ou en Indonésie. Dhermi, Himaré, autant de villages calmes qui invitent au farniente. Mais encore trop peoplés pour Cesar et Nathalie a la recherche de robinsonnades. Des ruines de Jbail au site de Gizeh, des traces des civilisations phénicienne, grecque, romaine, ottomane, majorquine ou vénitienne, des églises orthodoxes à celles primitives de Palestine en passant par ces mosquées et palais arabo-andalous, la Méditerranée a vu naitre les 3 religions monothéistes et presque l’écriture. Elle est pleine de trésors et un bonheur certain pour tous. Régions et pays différents, mais la trilogie vigne-blé-oliviers n’est jamais très loin, l’esprit de Braudel non plus. C’est “une patrie. Et je spécifie que pour les peuples de cette mer, il n’y a qu’une vraie patrie, cette mer elle-même, la Méditerranée.” On y célèbre le soleil, l’amour de la table, la vigne, les liqueurs locales. “RAKI: connecting people”. Gëzuar tout le monde!

À Himare, les premières pluies de mon été torride font leur entrée en scène. Qu'importe! Me voilà à Gjirokaster, la ville ottomane de naissance d'Ismail Kadare et d'Enver Hoxha. Je découvre l'un des 700.000 bunkers de l'ère Hoxha. Il s'agit d'un ancien abri antiatomique qui servait en fait de centre de torture... Maisons à tourelles (la Kulle turque), toits en lauzes, rues biscornues s'adaptent parfaitement à cette ville verticale tout en dénivelé. Nous sommes ici à Lazarat, la capitale européenne de l'herbe. Les policiers font mine de contrôler les voitures qui remontent vers le nord. Les policiers font mine de contrôler les voitures. La bonne blague. Pourtant, sous la pression de l’UE (pays candidat), le pays semble avoir déclenché une guerre contre ce village qui générait quelques milliards d’euros à la revente. Le pays est à l’image de la Sicile, des Pouilles, de la Corse. C’est l’Europe mafieuse, celle de l’économie informelle, d'une société encore parfois régie par le droit du sang. Celle d’une société conservatrice où les femmes n’ont pas leur place dans des cafés villageois bondés le soir venue (le xhiro); les hommes y jouent aux cartes, dominos, échecs, parient sur le foot et autres. Entre leur présence dans les cafés et la sieste de l’après-midi, je me demande bien quand ils ravaillent. À Berat, la superbe château domine la “ville aux mille fenêtres”. Gjirokaster la grise, Berat la blanche, cités UNESCO.

Je remonte le pays jusqu’à Tirana où mon filou a passé un très long moment. Les Aigles sont toujours aussi accueillants: on ne me fait pas toujours payé le bus, ce cafetier me dit “Free for tourists!”. Que se passera-t-il lorsque ces pays deviendront plus touristiques et membres d’une UE libérale? Ce sera peut-être le début d’une histoire, espérons nullement la fin de l’Histoire chère à Francis Fukuyama. Il est temps d'avaler un burek, un yaourt, de visiter les rares lieux d’intérêt de la capitale: la mosquée Et'Ehem Bey, le parc, le Blok, ancien carré des dirigeants du régime où Hoxha avait sa résidence. Je recherche des tekkes, lieux de culte des Bektâchî, une secte chiite basée sur le mysticisme soufi qui tolère la consummation du porc et de l’alcool. Nulle envie de rejoindre Athènes. Le ferry pour Bari est tout près, je m’y engouffre, retour au pays de la mamma!

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