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Dernière nuit à Beyrouth : le taxi qui m'emmène à l'aéroport est tendu : les véhicules militaires et chars foncent vers le lieu d'affrontements sanglants qui ont lieu entre militants du Hezbollah et du Ahbach -2 groupes chiites-, mon chauffeur évite certaines routes par peur des tirs ; la journée, j'entends une explosion si près de l'endroit où je me balade... Voilà 2 semaines que Jieun -made in Korea- partage mon voyage. Celui-ci est ainsi complètement différent. On rencontre Adam, un Syrien patron bouddhiste d'un bar qui nous rince le gosier gratis, écoute reggae, soul et jazz. Je deviens un peu feignant et je n'ai presque plus qu'une seule envie : celle de lire. On dîne aussi dans la rue de délicieuses soupes, brochettes de foie, kebab. Jieun en route  vers Le Cap rêve de sushis, kimchi et d'épices, moi de vin. Ces petits restos d'Alep me rappellent bien des pays ; on y mange pour 3 francs 6 sous. C'est peut-être un reproche que je peux faire à mon pays : cette obsession de l'hygiène qui paralyse ce genre d'activité.

 

Dans le bar d'Adam, je trouve mon Graal : la bière syrienne (Al Shark) il faut le dire presque imbuvable. Peut-on cependant faire pire que les Petra ou Philadelphia beer de Jordanie ? Mission : Accomplie... en période d'un ramadan qui ralenti l'activité au maximum. De très nombreux commerces et les quelques glaciers qui servent les bouza si populaires sont fermés, certains restaurants et cafés n'ouvrent qu'après la rupture du jeûne, Il me semble qu'au Proche-Orient, la religion a encore plus de place qu'ailleurs. Du haut du Jebel Qassioum, nous assistons au spectacle grandiose du coucher de soleil sur l'immense Damas. Bientôt apparaissent des centaines de lumières vertes qui sont en fait les lumières des minarets. Car l'islam règne sans partage. A Palmyre, une mosquée toute proche du site archéologique semble le symboliser et les cultes locaux, aspirés plus que remplacés par l'islam. ont disparus il y a fort longtemps.  Idem dans les vestiges kolossaux de Baalbek : la mosquée voisine avec les temples de la trilogie héliopolitaine (Jupiter, Vénus, Bachus), les plus grands de la Rome impériale !

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Flâner dans le vieux Damas, son quartier chrétien, assister au spectacle hypnotique de la prière dans la magnifique mosquée omeyyade qui renferme les mausolées de Salah ad-Din (Saladin) et d'Hussein fils d'Ali me procure un plaisir immense. Point à Palmyre... Et pourtant, que c'est beau ! Suis-je devenu difficile ? Au spectacle des ruines, je préfère celui de la nature. Un instant, j'ai pourtant pensé dire : Palmyre c'est superbe ! Car la tâche d'un voyageur n'est pas de détruire les rêves et les légendes mais de les créer. « La réalité c'est la monnaie de ceux qui ne savent pas mentir » (Dorgelès).

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Le Liban offre de jolies plages. théâtres d'épisodes traumatisants des années de guerre. Valse avec Bachir (Ari Folman) n'en est que la preuve magistrale. Mais la plage c'est surtout un bon moyen de lutter contre la chaleur, toujours la chaleur parfois étouffante. Les eaux turquoises d'un lac al-Assad qui se marie gracieusement avec le légendaire fleuve Euphrate également. Presque seuls au monde à l'est de la Syrie ; cela ressemble à un moment de bonheur malgré les trop nombreux détritus... ; comme c'est malheureusement c'est souvent le cas. Des pyramides de savon : pas de doute, voici Alep et sa citadelle qui en impose. Immense et dans un état de conservation exceptionnel. Même constat pour le krak des chevaliers, peut-être le plus célèbre des châteaux médiévaux. Je suis bluffé par le gigantisme ; « c'est bestial » comme dirait mon ami Marco ! Il stimule mon imaginaire, me replonge dans l'enfance, mes vacances d'été avec mes parents à l'assaut, avec notre camping-car crachant la belle chanson de Cabrel, des châteaux cathares.

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Passer une frontière terrestre est toujours un moment particulier, souvent folklorique : fermeture de la douane à 17h au Laos, douaniers absents à l'heure du déjeuner au Panama, tampon d'entrée à quémander en Bolivie pour ne pas être illégal, aboiements d'un agent anti-français aux Etats-Unis... Les douanes de la région ne font pas exception ; elles ne sont que les reflets du non-sens du monde contemporain. Les no man's lands qui séparent Syrie et Liban font plusieurs kilomètres et semblent habiter par nombre de personnes dont je me demande quelle est la nationalité. Les boutiques proches du territoire libanais affichent le portait de H. Nasrallah qui remplace ceux au nombre incalculable du président Bachar al-Assad. Imaginez-vous le portait de Sarkozy tous les 100 mètres.... quelle belle République !

 

Nous voilà dans la vallée de la Bekaa au nord du pays, Jieun soulagée car son visa était expiré, moi énervé... « Quelle beau métier douanier » avait chanté ironiquement Sinsémilia ! Je gardait précieusement la dernière page vierge de mon passeport pour le visa égyptien dont j'ai besoin pour me
rendre au mariage de mon amie Marwa au Caire en novembre... « Bim », le tampon ! Comment faire à présent ? Mon voyage s'achève à Beyrouth dans l'attente d'une nouvelle aventure. Je ne sais où et au fond peu importe, car Roland Dorgelès l'a si bien écrit :

 

« Voyager c'est se rendre quelque part, mais c'est surtout partir et, le temps de la traversée, laisser derrière soi les soucis, goûter l'imprévu, rêver à loisir. Où ? Est-ce que cela importe... Le but n'importe pas. Le voyage ce n'est pas arriver : c'est partir. C'est la saveur de la journée qui s'ouvre, c'est l'imprévu de la prochaine escale, c'est le désir jamais comblé de connaître sans cesse autre chose, c'est la curiosité de confronter ses rêves avec le Monde, c'est demain, éternellement demain » (Partir, 1966).

 

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